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Construire une Université haïtienne pour une Nation haïtienne de bien-être et de prospérité

Samuel Pierre
Professeur titulaire à l’École Polytechnique de Montréal
Président de GRAHN-Monde


Construire une Université haïtienne pour une Nation haïtienne de bien-être et de prospérité

Conférence prononcée le vendredi 13 janvier 2012 dans le cadre du Colloque inaugural du Campus universitaire de Limonade de l’Université d’État d’Haïti organisé par le Secrétariat d’État à l’enseignement supérieur d’Haïti

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Mesdames, Messieurs,
J’aimerais d’abord remercier

• le Dr Harold Durand, président de GRAHN-Cap-Haïtien • et vice-président Développement des chapitres de GRAHN-Haïti;
• M. Jean Vernet Henry, recteur de l’Université d’État d’Haïti et président de la Conférence des recteurs et présidents d’université d’Haïti;
• M. Jean-Claude François, secrétaire d’État à l’enseignement supérieur, d’avoir pris l’initiative de ce colloque et de m’y avoir invité;
• les multiples groupes et citoyens du Nord et de l’Ouest d’Haïti, auxquels revient le mérite d’avoir ouvert le débat – combien nécessaire – sur le monde universitaire haïtien, à la faveur de l’inauguration de ce Campus universitaire où nous sommes réunis aujourd’hui;
• vous tous ici présents, celles et ceux qui sont avec nous virtuellement, nos amis Dominicains qui communient avec nous à distance, pour votre intérêt à la cause, la vraie, celle d’une jeunesse haïtienne assoiffée d’éducation, de savoir, de perspective, d’épanouissement, de bien-être et de prospérité.


Mes premiers mots de gratitude vont à la République dominicaine – le président et le peuple dominicains – qui a fait à Haïti le plus beau cadeau que j’aurais aimé faire moi-même au pays : un campus pour héberger une Université. Le peuple haïtien prend acte de ce geste d’amitié et en remercie le peuple dominicain et son président.


Le cadeau que j’aimerais faire à Haïti, c’est celui d’une Université d’excellence, axée à tous les niveaux sur le mérite, ayant pour mission non seulement de propager la science dans la vision du monde et dans les esprits de nos jeunes, mais aussi de développer cette conscience citoyenne et nationale sans laquelle – pour paraphraser Rabelais – la « science (…) n’est que ruine de l’âme ».


Le cadeau que j’aimerais faire à Haïti, c’est celui d’une Université qui forme non seulement des professionnels et des chercheurs compétents, mais aussi, et surtout, des citoyens responsables envers eux-mêmes, envers leurs proches, envers la collectivité, envers le pays. Une Université qui forme des leaders pour la Nation, qui prépare des agents de changements positifs à tous les niveaux de la société haïtienne, qui façonne des esprits soucieux et respectueux du bien commun, qui cultive la recherche permanente de la vérité en remettant continuellement en question les idées reçues et les vérités établies par une saine pratique de la réflexion, de la création, de la recherche scientifique et du débat d’idées.


Le cadeau que j’aimerais faire à Haïti, c’est celui d’une Université ouverte sur l’ensemble du pays, accessible selon le mérite aux filles et aux fils du pays, génératrice de compétences et productrice des savoirs dont le pays a besoin pour résoudre ses problèmes complexes et se développer. Une Université capable d’accompagner le peuple haïtien dans ses aspirations de bien-être. Une Université capable de jouer le rôle de locomotive pour le reste de la nation haïtienne dans sa quête d’une prospérité au bénéfice de tous.


Le Groupe de réflexion et d’action pour une Haïti nouvelle, créé huit jours après le séisme du 12 janvier 2010 et connu aujourd’hui comme GRAHN-Monde, a identifié 12 défis fondamentaux auxquels fait face le pays. Défis qui ne datent pas d’hier et qui pourraient inspirer d’importantes activités de recherche interdisciplinaires à cette Université haïtienne que j’appelle de tous mes voeux. Défis qui pourraient mobiliser plusieurs générations successives de chercheurs et d’intellectuels d’Haïti. Défis qui pourraient aussi engendrer de riches occasions de collaboration scientifique internationale au regard de la pertinence des problématiques de recherche en question. Regardons de plus près cinq de ces douze défis. Je laisserai délibérément le plus important d’entre eux pour la fin, tant il est lié au sujet de la conférence d’aujourd’hui.

 

PREMIER DÉFI : L’INACCESSIBILITÉ AUX SOINS DE SANTÉ DE BASE

Ce premier défi soulève la question de recherche suivante : comment mettre en place un système national de santé à la fois compatible avec le faible niveau d’éducation de la population et les ressources financières et médicales dérisoires dont dispose l’État, en tenant compte des caractéristiques et pratiques culturelles de la société haïtienne? Un tel chantier de recherche mobiliserait des chercheurs dans des disciplines aussi diverses que les sciences médicales, les sciences de l’éducation, les sciences économiques, les sciences administratives, l’anthropologie, la sociologie et l’ethnologie.

 

DEUXIÈME DÉFI : LE TAUX DE CHÔMAGE TRÈS ÉLEVÉDE LA POPULATION, PARTICULIÈREMENT CHEZ LES JEUNES

Ce deuxième défi soulève la question de recherche suivante : quel cadre de stimulation doit-on mettre en place afin de dynamiser l’économie haïtienne en vue d’attirer de nouveaux investissements pour la création d’entreprises de toutes tailles, elles-mêmes créatrices d’emplois dans tous les secteurs d’activités et dans tous les coins du pays? Ce chantier de recherche mobiliserait des chercheurs dans des disciplines aussi variées que les sciences économiques, le droit, les sciences et techniques agricoles, l’administration des affaires, la fiscalité, les relations industrielles, et j’en passe.

 

TROISIÈME DÉFI : LA PERTE DU CONTRÔLE DÉMOGRAPHIQUE

Ce troisième défi soulève la question de recherche suivante : quelle stratégie doit-on élaborer et quels mécanismes doit-on mettre en place pour juguler l’explosion démographique et atténuer ses effets négatifs sur l’occupation de l’espace et les infrastructures sociotechniques? Ce chantier de recherche pourrait mobiliser des chercheurs dans des disciplines telles que la démographie, l’éducation, les sciences de la santé et la sociologie.

 

QUATRIÈME DÉFI : LA DÉGRADATION CONSIDÉRABLE DE L’ENVIRONNEMENT

Ce quatrième défi soulève la question de recherche suivante : comment freiner la dégradation de l’environnement et réhabiliter le territoire haïtien dont le taux de couverture végétale se situe autour de 2 %? Ce chantier de recherche pourrait mobiliser des chercheurs dans des disciplines aussi diverses que les sciences de l’environnement, le génie civil, le génie énergétique, le génie rural, la démographie, l’agronomie, l’économie et la foresterie.

 

CINQUIÈME DÉFI : LA SOUS-ÉDUCATION CHRONIQUEDE LA POPULATION

Ce cinquième défi, et non des moindres, est au coeur de notre rencontre d’aujourd’hui et apparaît comme un métadéfi, le défi des défis qui conditionne tout le reste. Comment articuler un système éducatif capable de garantir une éducation de qualité, accessible à tous les citoyens et dans toutes les régions du pays en prenant en compte les impératifs de développement, de bien-être et de prospérité de la société haïtienne? Dans la foulée de toutes les manifestations de nature éducative qui l’ont précédé, l’événement Haïti-Éduc’2012, qui se déroulera au pays du 5 au 10 mars 2012, se veut le point de départ d’une démarche de concertation entre les Haïtiens de l’intérieur et ceux de l’extérieur en vue de tenter de répondre – ensemble – à cette question. Selon une approche holistique que nous préconisons, ce nouveau système éducatif que nous souhaitons ardemment devrait permettre de former des citoyens nouveaux, férus de science et de conscience, responsables envers eux-mêmes et envers la collectivité, respectueux du bien commun et de la vérité, et motivés pour travailler au développement du pays dans une quête perpétuelle de solutions aux problèmes nationaux.


L’Université que nous célébrons aujourd’hui est au coeur de cette problématique. Un pays vaut ce que vaut son système éducatif et, dans la mesure où l’Université est au sommet de la pyramide que constitue le système éducatif d’une nation, tant vaut l’Université, tant vaut la Nation. Pas de développement national sans un système éducatif performant! Pas de bien-être ni de prospérité sans une Université performante pour tirer vers le haut le système éducatif! Au cours des cinquante dernières années, des pays comme le Brésil, Taïwan, Singapour et la Corée du Sud ont fait des progrès économiques fulgurants en misant sur une Université performante et en y investissant. Certains d’entre eux, qui étaient aussi pauvres qu’Haïti, sont devenus riches grâce au choix judicieux et courageux de développer une Université d’excellence, privilégiant la production de connaissances scientifiques et le développement de compétences nécessaires à la résolution des problèmes fondamentaux auxquels ils faisaient face.

Ce choix était courageux en cela qu’il allait souvent à contre-courant des directives des grandes agences d’aide internationale qui ont trop longtemps privilégié l’éducation de base au détriment de la formation universitaire. Aujourd’hui, le temps a donné raison à ces pays qui avaient pris en main leurs destinées selon leur propre vision. Aujourd’hui aussi, ces agences d’aide internationale ont reconnu avoir erré en refusant un juste équilibre entre les divers niveaux du système éducatif considéré comme un tout.


Un pays vaut ce que vaut son Université. Si l’on veut développer un pays, il faut y développer l’Université, ce qui ne saurait se faire sans compter avec les autres paliers de la pyramide du système éducatif. D’où la responsabilité de tout État soucieux de développement, de bien-être et de prospérité de supporter vigoureusement le secteur universitaire dans sa triple mission d’enseignement, de recherche et de service à la collectivité.

 

COMMENT CONSTRUIRE CETTE UNIVERSITÉ HAÏTIENNE LOCOMOTIVE DE LA NATION, GÉNÉRATRICE DE BIEN-ÊTRE ET DE PROSPÉRITÉ AU BÉNÉFICE DE TOUS LES CITOYENS?

L’Université, c’est à la fois trois choses : un système, une culture et un milieu.

 

L’UNIVERSITÉ-SYSTÈME

Dans la plupart des pays du monde, il existe un système universitaire régulé par l’État et dont la mission principale est la diffusion du savoir de haut niveau et la production de nouvelles connaissances par la recherche. Le mot système est pris ici dans le sens que lui donne le Prix Nobel américain Herbert Simon, spécialiste de la systémique entendue comme méthode scientifique privilégiant une approche globale ou holistique pour aborder des problèmes complexes. Le système universitaire est généralement défini par une loi organique et un cadre normatif qui régissent son fonctionnement. Aujourd’hui, ces deux composantes du système font cruellement défaut et sont à la base de nombreux problèmes dont souffrent les universités haïtiennes. Voilà donc une première pierre à placer dans la construction de l’édifice universitaire haïtien, et il est de la responsabilité de l’État et des pouvoirs publics de s’acquitter de cette tâche.


En regard d’un pays comme Cuba, de population comparable, Haïti devrait viser une population universitaire d’environ 500 000 étudiants. En poursuivant cet idéal sur un horizon de 50 ans, conformément à une vision stratégique que l’État haïtien devrait se donner, cela correspondrait à terme à un système universitaire constitué schématiquement de 10 universités d’environ 50 000 étudiants chacune. Ces universités devraient être majoritairement publiques et cohabiter avec des universités privées dans des proportions à définir. Elles devraient être réparties entre les dix départements géographiques du pays. Ces chiffres sont évoqués ici à titre indicatif et ne remplacent nullement une planification stratégique qui viendrait déterminer plus précisément la taille, le rythme d’implantation et la vocation spécifique de chacune de ces universités, en particulier celles du sous-système universitaire public. À ce titre, il convient de mentionner qu’une certaine asymétrie dans la taille et la mission de ces institutions universitaires serait fortement recommandée pour que le système puisse s’adapter aux réalités d’aujourd’hui et de demain et réponde aux impératifs d’aménagement du territoire haïtien. Une société comme le Québec, avec une population un peu moindre que celle d’Haïti et un territoire au moins soixante fois plus grand que le sien compte une douzaine d’institutions universitaires, dont une constituée en réseau.

 

QUELS SONT LES INGRÉDIENTS DE BASE D'UNE INSTITUTION UNIVERSITAIRE?

Une institution universitaire n’est pas un complexe immobilier ni un ensemble d’édifices. C’est bien plus que cela. Avant même l’édifice qui l’abrite, une institution universitaire, c’est d’abord un projet académique supporté par des programmes d’études, un corps professoral compétent et de taille adéquate, un bassin d’étudiants en nombre suffisant pour favoriser des économies d’échelle, un personnel-cadre et une direction bien rodés aux pratiques de gestion collégiale et à la démocratie universitaire. À ce titre, je voudrais mentionner que l’Université est le lieu par excellence où doit s’exercer la démocratie et qu’elle doit donner l’exemple en la matière. Elle doit être le lieu d’un débat serein, ordonné, basé sur la dialectique, et être guidée constamment par cette quête de vérité devant laquelle tous les acteurs doivent s’incliner. En effet, la recherche scientifique, qui fait partie de la mission universitaire, repose sur cette quête de vérité qui se renouvelle au gré des nouvelles connaissances, par une remise en question perpétuelle des idées reçues, voire des faits établis. Rappelez-vous cette fameuse phrase de Galilée, que d’aucuns considèrent comme un mythe : « Et pourtant, elle tourne! »


En effet, le 22 juin 1663, ce savant Italien, alors âgé de 70 ans, est condamné à la prison à vie par la congrégation du Saint-Office, le bras judiciaire de l’Inquisition. Il est obligé d’abjurer le système héliocentrique de Copernic, dont l’oeuvre a été mise à l’index 15 ans auparavant. Mais, Urbain VII, qui avait soutenu Galilée au départ, commue cette peine en assignation à résidence. Après avoir renié ses convictions scientifiques, et en particulier le fait que la Terre tourne sur ellemême, Galilée aurait murmuré : « Et pourtant, elle tourne! »


Voilà un bel exemple d’attachement à des convictions scientifiques résultant en la mise en cause de vérités établies!

 

LA NÉCESSITÉ D'UN DOUBLE CONTRAT POUR ASSURER LA VIABILITÉ

Pour qu’un système universitaire public soit viable et performant, il faut qu’il soit assorti d’un double contrat :


• un contrat entre l’État et les universités qui composent le système;
• un contrat entre les universités publiques et les étudiants qui bénéficient de la formation qu’elles dispensent.


Le premier contrat, celui qui lie l’État et les universités qui composent le système, est un engagement pris par l’État de supporter financièrement le fonctionnement et le développement de ces universités, en retour duquel il exerce un contrôle de performance et de qualité par l’intermédiaire d’organes étatiques de contrôle et d’instances d’assurance de qualité indépendantes. Un tel contrôle ne doit pas être vu comme un outil de sanction des administrations universitaires, mais plutôt comme un moyen de s’assurer que les fonds publics ont été bien utilisés (contrôle financier) et que les objectifs académiques annoncés pour une période donnée ont été bien atteints (contrôle de qualité académique). C’est aussi une occasion de fournir une rétroaction aux instances dirigeantes d’institutions universitaires afin de les aider à améliorer leur gestion et à renforcer leur imputabilité (leur capacité de rendre des comptes).


Le deuxième contrat – celui entre les universités publiques et les étudiants qui bénéficient de la formation qu’elles dispensent – est un engagement pris par les étudiants admis à ces universités de fournir une forme de service social dont la structure et les exigences devraient prendre en compte les impératifs de développement du pays et les besoins en ressources humaines dans les différents domaines d’activités. Si nous voulons une Université haïtienne dédiée à la Nation haïtienne, il faut très tôt sensibiliser et engager les étudiants dans des tâches civiques liées à leur formation pendant et après leurs études. Au nom de quelle justice un pays aussi pauvre qu’Haïti devrait-il supporter seul le fardeau de donner une formation universitaire complète à des personnes dont une grande partie ne cultive aucun attachement au pays, et encore moins à leur alma mater? Si l’éducation fondamentale gratuite est une exigence de la Constitution, ce n’est pas le cas pour la formation universitaire, qui devrait plutôt répondre aux objectifs de développement socio-économique que l’État s’est donné, dans un arbitrage optimal des choix du niveau d’investissement à consentir dans les différents paliers de la pyramide du système éducatif dans un contexte où les ressources sont limitées.


Voilà une question qui demeure matière à débat, lequel devrait se faire loin des aveuglements idéologiques et dans un souci de protéger les plus démunis qui font souvent les frais du fonctionnement des institutions universitaires auxquelles ils n’ont pas toujours accès. Le mérite et l’accessibilité devraient constituer le binôme indivisible à privilégier dans ce contexte, binôme qui devrait servir de critère de prise de décision quant à la sélection des étudiants dans les universités du secteur public.


On arrive au deuxième attribut de l’Université.

 

L'UNIVERSITÉ-CULTURE

S’il est relativement facile de construire l’Université-système, surtout quand on a les moyens financiers et la volonté politique, ce n’est malheureusement pas le cas de l’Université-culture. Comme toute culture, la culture universitaire est quelque chose de très difficile à construire. Elle se crée aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Université, comme une toile de fond qui distille les comportements des différents acteurs : professeurs, chercheurs, dirigeants gestionnaires et étudiants. Cette culture universitaire consacre une série de pratiques et fournit une ontologie servant de cadre d’interprétation des faits et des gestes posés par les acteurs. Qui ne connaît pas le « Publish or perish » cher aux milieux universitaires nord-américains, slogan selon lequel le professeur oeuvrant dans une université de recherche ne survit que s’il publie suffisamment aux yeux de ses pairs qui siègent aux comités d’évaluation?


La culture universitaire est aussi caractérisée par une certaine collégialité dans Le processus de prise de décision. Ce souci de collégialité, une valeur fondamentale dans le milieu universitaire, peut engendrer des délais dans la prise de décision, ce que des personnes non familières avec cette culture pourraient considérer comme de l’inefficacité. Pour conjurer ce risque d’inefficacité, certaines instances universitaires font appel à des conseillers externes venant des milieux socioéconomiques, dans une quête de diversification des approches et des points de vue, afin d’éviter le développement d’un climat incestueux entre les membres constituant ces instances et l’enfermement dans la tour d’ivoire souvent reproché aux universitaires.


L’un des plus gros défis d’une université en émergence, c’est le développement d’une culture qui lui est propre, laquelle la rend apte à mériter le respect des autres universités et de la société qu’elle dessert. Une université qui décerne des diplômes non reconnus ne rend service ni aux personnes qui les reçoivent ni à la société où ils vivent. D’où l’obligation de l’État de veiller à la qualité des programmes dispensés dans ces établissements, dans un souci de protection des citoyens consommateurs.


Si la construction d’une culture universitaire est une démarche non triviale, voire laborieuse, sa transformation l’est encore davantage. En effet, dans un milieu caractérisé par la collégialité et inscrit dans une pratique démocratique axée sur le savoir, il est difficile de changer les choses à court terme, car cela nécessite de remettre en cause des habitudes et des façons de faire bien intégrées. J’ai en tête plusieurs expériences universitaires ici ou là – certaines heureuses, d’autres malheureuses – par lesquelles les pouvoirs publics ou les dirigeants universitaires se sont attaqués à la culture universitaire existante. Dans tous les cas, la résistance au changement s’est manifestée et a rendu l’opération, sinon impossible, du moins, périlleuse. Pour qu’elle ait de bonnes chances de succès, une démarche de transformation de la culture prévalant dans un système universitaire doit s’inscrire dans la durée. Voilà un autre défi auquel font face les universités haïtiennes!

Examinons maintenant le troisième et dernier attribut de l’Université.

 

L'UNIVERSITÉ-MILIEU

Des trois attributs de l’Université, l’Université-milieu est celui qui est le plus difficile à appréhender et à implanter. Ce n’est pas le système, dont on connaît les composantes et la structure. Ce n’est pas non plus la culture, qui prend du temps à se construire et à se transformer, mais dont on finit par connaître plus
ou moins les contours et les manifestations à force d’y être exposé. Le milieu fait plutôt référence à la notion d’habitus popularisée par le célèbre sociologue français Pierre Bourdieu, qui « défin[it] une manière d’être, une allure générale, une tenue, une disposition d’esprit ». En acquérant ensemble des connaissances qui forment un capital social, les étudiants fréquentant les mêmes classes peuvent arriver à un certain rapprochement de leurs comportements, de leurs goûts et de leurs styles de vie jusqu’à créer collectivement un habitus de classe. Dans un laboratoire ou un centre de recherche universitaire, qui est un prototype de milieu universitaire, les étudiants prennent place et travaillent sous la direction de chercheurs établis dont ils observent les comportements jusqu’à les intégrer et à les reproduire. Ces étudiants sont considérés comme en résidence, à la manière des apprentis qui vivaient chez des maîtres de métier dans un processus d’initiation au compagnonnage. Ils acquièrent ainsi des habitudes de penser, de raisonner, de chercher, d’intervenir, de mesurer et d’évaluer en observant le maître. La réputation d’excellence d’une université est généralement déterminée par la qualité du milieu, souvent mesurée par le rayonnement scientifique des professeurs et les exploits académiques des étudiants.

Voilà donc la tâche urgente qui attend les universitaires et les dirigeants politiques haïtiens : construire le système, la culture et le milieu d’une Université haïtienne à l’avant-garde des connaissances, des compétences et des valeurs nécessaires au développement du pays. Bref, construire une Université haïtienne dédiée à la nation haïtienne, une Université haïtienne vecteur de bienêtre et de prospérité au bénéfice de tous.


Et si l’on profitait de l’inauguration de ce campus universitaire de Limonade – une infrastructure, c’est-à-dire le contenant – pour poser aujourd’hui la première pierre de cette véritable Université haïtienne dédiée à la nation haïtienne et vecteur de bien-être et de prospérité au bénéfice de tous?


LA « GUERRE DES TOITS » N’AURA PAS LIEU À LIMONADE

N’est-ce pas Nesmy?
Je suis ravi, vraiment ravi de ce retour au calme qui permet de choisir la vraie guerre à mener, la guerre authentique, celle qui exige que l’on s’unisse, comme en 1803, pour faire face au véritable ennemi dont nous sommes tous victimes. Pas une guerre des Toits, surtout quand ceux-ci ont été généreusement donnés par des voisins, mais une guerre pour une Université haïtienne dotée d’un système, d’une culture et d’un milieu universitaires. Il s’agit là d’une guerre qui ne saurait durer l’espace d’un matin. C’est plutôt une guerre qui s’étendra sur des décennies de travail constructif et soutenu.


J’ai suivi avec intérêt l’essentiel du débat qui s’est déroulé et qui se déroule encore sur ce qui est tour à tour appelé le « Campus universitaire Roi Henry 1er », le « Campus universitaire de Limonade », l’ « Université de Limonade ». Débat qui – de manière générale – s’est déroulé dans la sérénité et dans la dialectique, malgré quelques rares écarts de langage et malentendus somme toute inévitables dans un contexte qui soulève autant de passions. Mais dans l’ensemble, le débat est resté dans les normes, à croire que cette culture universitaire dont j’ai parlé précédemment est déjà bien implantée au pays. Il ne suffit que de la promouvoir et de la renforcer.


Que retenir d’essentiel dans ce débat? Trois choses :
• Le système universitaire tel que décrit précédemment est • à créer en Haïti et c’est le rôle des pouvoirs publics de prendre toutes les dispositions nécessaires pour qu’on y parvienne le plus rapidement possible;
• Les universités publiques d’Haïti – c’est-à-dire l’Université d’État d’Haïti et les universités régionales – sont dans un tel état de dénuement, surtout depuis le tremblement de terre, qu’elles sont incapables de s’acquitter convenablement de la mission envers la société qui leur est confiée par l’État;
• Il y a un énorme besoin de décentralisation effective de l’offre publique de formation universitaire afin de permettre aux différentes régions du pays, dont le Nord, de se prendre en main en toute autonomie et dans un contexte stimulant qui ne peut qu’être bénéfique pour l’ensemble du système universitaire haïtien à construire.


La construction de ce système universitaire doit débuter par l’élaboration, la discussion, l’adoption et la mise en application de la loi organique qui régira les universités en Haïti, qu’elles soient publiques ou privées. Il faudra également définir le cadre normatif qui régit le fonctionnement des universités au pays, ce qui passe entre autres par la mise en place d’un dispositif national d’assurance qualité permettant à l’État d’exercer le contrôle nécessaire sur ce palier de la pyramide du système éducatif.


Par ailleurs, il est anormal que l’État haïtien laisse les universités publiques haïtiennes sombrer dans une telle pauvreté. Le séisme du 12 janvier 2010 a détruit 9 des 11 édifices de l’Université d’État d’Haïti et a entraîné des pertes considérables en vies humaines : étudiants, dirigeants universitaires, personnel-cadre et
de soutien. Il est scandaleux que la plus grande université publique du pays n’ait bénéficié d’aucune attention particulière de l’État haïtien pour sa reconstruction. Et pourtant, la demande a été faite expressément à la Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti (CIRH) qui n’a pas daigné y donner suite. L’État haïtien doit prioritairement prendre en main la reconstruction de la principale université publique du pays.

Les universités publiques régionales des Cayes, des Gonaïves, du Cap-Haïtien et de Jacmel ne sont pas mieux servies. Certaines d’entre elles fonctionnent dans des locaux de fortune non adaptés aux exigences d’un enseignement universitaire, dans l’indigence la plus criante. Quand on pense que le budget annuel réel de l’Université publique du Sud aux Cayes (UPSAC) pour l’exercice financier écoulé est inférieur à 6 millions de gourdes, soit environ 150 000 $ pour l’année, on peut en déduire que le recteur doit se muer en magicien pour joindre les deux bouts s’il y parvient.


Il y a donc lieu de se pencher sur la question du double contrat que j’ai évoquée tantôt. En effet, l’État haïtien doit redéfinir son contrat avec les universités publiques d’Haïti dans le cadre de la mise en place d’un nouveau système universitaire assorti d’engagements réciproques entre les deux parties, engagements
basés sur la qualité attestée des projets académiques et la pertinence des résultats qu’ils génèrent. Cette notion de contrat État-Université ne devrait pas exclure les universités privées d’Haïti, dans la mesure où celles-ci pourraient offrir à moindre coût une meilleure formation que celle dispensée dans certaines universités du réseau public. Encore faut-il qu’on sache bien évaluer le coût d’une formation universitaire! Ce serait une forme de partenariat public privé qui pourrait s’avérer bénéfique pour les deux parties, surtout au regard de la gestion des risques associés à la mise en place et au déploiement d’une nouvelle institution universitaire.


Dans le même ordre d’idées, il faudrait intégrer dans le nouveau cadre normatif à mettre en place la notion de contrat Université-Étudiants. Avec la demande croissante de formation universitaire au pays, ce n’est pas demain que l’État haïtien, avec la taille de l’économie du pays, sera en mesure de soutenir
financièrement de façon inconditionnelle une population de 200 000 étudiants universitaires, dont une bonne partie quittera le pays sans retour une fois ses études complétées. Il y a donc urgence d’établir un système de service social qui rend l’étudiant redevable envers l’université et le pays qui ont investi dans sa formation.


Une des choses qui sont ressorties avec force du débat en cours sur le Campus universitaire de Limonade, c’est la détermination des « hommes du Nord » – je préfère parler des « gens du Nord », ce qui fait moins sexiste – de se prendre en main en proposant une vision de développement régional qui correspond à leurs aspirations légitimes. C’est tout à leur honneur et je ne peux que les en féliciter. La fierté christophienne est bien connue, je dirais même légendaire : c’est une valeur avec laquelle il faut compter et sur laquelle il faut bâtir, pour la grande région du Nord, mais aussi pour l’ensemble du pays dans un processus
de saine stimulation régionale.


Voilà donc des ingrédients avec lesquels nous pouvons construire une véritable Université haïtienne : un système, une culture et un milieu universitaires conçus pour relever la Nation haïtienne, contribuer au bien-être et conduire à la prospérité de tous les citoyens, comme l’ont fait tout récemment des pays tels que le Brésil, Taïwan, Singapour, et la Corée du Sud, pour ne citer que ceux-là.


L’Université doit donner l’exemple en jouant le rôle de phare et de source d’inspiration pour le reste de la société dans sa façon d’aborder et de résoudre les problèmes, par la réflexion, la recherche, la dialectique, le débat, le compromis, l’engagement véritable, la recherche du bien commun, toujours selon les principes et l’éthique des moyens pour arriver aux résultats. Le problème du Campus universitaire de Limonade – qui n’est pas encore une université, je le rappelle – doit être résolu de manière universitaire : par la réflexion, par la recherche, par la dialectique, par le débat, par le compromis, par l’engagement véritable, par la recherche du bien commun, toujours selon les principes et l’éthique des moyens pour arriver aux résultats.


La « guerre des Toits » n’aura pas lieu à Limonade. Je m’en réjouis et je vous en félicite! Cela préserve notre énergie et nos talents pour nous unir, comme en 1803, pour mener la vraie guerre, la guerre authentique, celle qui exige de faire front commun face aux véritables ennemis dont nous sommes tous victimes : la guerre contre l’ignorance, contre l’analphabétisme, la pauvreté, la mortalité infantile, le chômage, l’explosion démographique, la dégradation de l’environnement, l’exode des cerveaux, la dépendance du pays à l’égard de la communauté internationale, l’érosion de la souveraineté nationale, l’exclusion sociale et l’injustice. Le GRAHN est déjà organisé et prêt; il n’attend que vous pour ce rassemblement des forces pour le grand Konbit national. Le vrai cadeau que notre généreux voisin nous a fait, c’est de nous permettre aujourd’hui de poser la première pierre de cette véritable Université haïtienne devant servir de moteur au développement du pays. En ce sens, nous sommes tous ici aujourd’hui des bâtisseurs d’université, certes, mais surtout de pays!

Merci Président Fernandez! Merci Peuple dominicain! Peuple haïtien, mettonsnous au travail pour la vraie guerre, la vraie construction d’Haïti! Merci.

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Académie Haïtienne des Sciences

L’Académie Haïtienne des Sciences (AHS) est un organisme sans but lucratif dédié à la promotion de la science et de la technologie au pays. Regroupant d’éminents scientifiques, elle anime une réflexion permanente et maintient une vigilance constante sur l'organisation de la recherche, de la formation à la recherche et de l'enseignement scientifique. L’Académie oriente ses activités vers les applications des sciences, les grandes orientations des programmes scientifiques, et plus généralement vers toutes questions intéressant la vie scientifique.


L'ISTEAH est membre institutionnel de l’Académie. Plusieurs professeurs de l'ISTEAH sont également membres réguliers de l’Académie.

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